Deux petits pas dans la boue

Si l’on me demandait à quoi je consacre mon temps, je pourrais répondre simplement : je contemple.
Souvent, je regarde mon fils vivre son petit bout de vie dans le jardin. Dans ces moments-là, je me sens traversée par un bien-être immense.
Je trouve cela si paisible de le voir évoluer dans la simplicité. C’est comme si je vivais à travers ses petits pieds qui foulent la terre boueuse de notre jardin ; je ressens la beauté de ce simple geste.
Je le vois taper des mains en disant « hop hop hop » pour appeler ses poulettes.
Le soleil nous réchauffe simplement le dos, l’air soulève mes cheveux et s’engouffre dans mes poumons.
C’est simple, mais tellement vivifiant.


Pendant longtemps, et encore récemment, j’ai cherché à écrire ma légende personnelle, pensant que cela me permettrait de me sentir vivante et de légitimer mon existence. J’ai cru qu'il était nécessaire de réaliser des choses importantes, de me dépasser sans cesse.
Parfois, j’avais envie de valoriser ces accomplissements sur les réseaux sociaux, pour montrer qui je suis, mais au fond, je ne montrais que ce que je faisais. Il m’arrivait aussi de juger bon de partager certaines grandes révélations qui ébranlaient ma propre existence.
Ce n’est pas mal, mais je ne suis pas certaine que ce fut toujours juste.
Il m’est arrivé de me sentir invincible, persuadée que j’avais traversé suffisamment d’épreuves et que la vie m’épargnerait certains événements.
Je croyais que j’étais sous l’aile de Dieu et que rien ne pouvait m’arriver.
Alors, quand je suis tombée enceinte en septembre dernier, je n’ai même pas envisagé la possibilité d’une fausse couche. Et pourtant, à la fin de l’année 2024, j’ai dû subir un curetage.

L’annonce de la fausse couche et la vision de ce petit fœtus sans vie dans mon ventre m’ont profondément bouleversée. Ce fut un choc.
Je me suis sentie assommée, sonnée, et puis un océan de tristesse m’a envahie, d'abord mêlé à de la culpabilité, puis à la résilience.
Je devais attendre quatre jours avant de subir une intervention, et je devais aussi m’occuper de mon fils seule durant ces quelques jours.
Alors, avec un vague à l’âme, mais sans détour, je lui ai tout expliqué pour qu’il comprenne qu’il n’était pas la cause de ma peine.
Il existe une version crue que j’ai écrite de ces quelques jours, qui m’appartient, et puis celle-ci, plus sublimée, que je choisis de partager.


J’avais été fatiguée et anxieuse à l’idée de cette grossesse, bien que désirée. Alors, après un premier jour de peine et de peurpeur d’être la coupable de cette perte – parce que je n’ai pas su trouver la paix et le repos, je me suis ouvertement demandée si je voulais continuer à me flageller et m’enfoncer, ou s’il n’y avait pas une autre porte que je pouvais ouvrir. De là, naturellement, je me suis mise à remercier cette petite âme pour cette épreuve, à remercier l’univers pour cet enseignement nouveau. Est-ce là une ouverture qui m’invite à réagir différemment, à m’ouvrir un peu plus au Divin ? Alors, c’est avec une confiance inébranlable que j’ai plongé dans une autre strate. Vivre cet événement non pas à travers un personnage humain, mais plutôt dans une dimension supérieure, légère.

Cela ne s’est pas fait de manière forcée, c’était comme si cette voie m’avait choisie, ou plutôt comme si, depuis des années, j’avais retrouvé ce chemin et décidé de l’emprunter. Mais cette fois-ci, c’est le chemin lui-même qui m’a prise par la main.
Cela ne signifie pas que j’ai cessé de pleurer, bien au contraire, mais je me suis sentie profondément aimée, non seulement par mon compagnon, mon fils et mon entourage, mais aussi par l’univers. Comme toujours, je ressentais un amour inconditionnel et une protection émanant de moi et autour de moi. Cela m’a permis de comprendre cette nuance fondamentale : être protégé ne signifie pas être épargné.
La veille de l’intervention, je n’ai pas trouvé le sommeil, mais ce n’était pas grave. Quelque chose de liquoreux m’a envahie, et je me suis sentie en paix. La douleur était présente, mais la sérénité aussi. C’était une expérience tellement puissante à vivre.

En même temps que le début de ma grossesse, j’avais commencé un livre magnifique : Le Testament des Trois Marie de Daniel Meurois. Il a été ma boussole tout au long de ce parcours. Alors, lors de cette fameuse nuit sans sommeil, j’ai machinalement appris une prière centrale de ce livre : « Seigneur, redresse-moi ».

« Seigneur, redresse-moi et chasse de moi l’ivraie par tous les vents de la vie.
Extraie de moi la meilleure semence et aide-moi à la planter, même dans le sol rocailleux.
Seigneur, redresse-moi et donne-moi la force de sourire à la pluie tout autant qu’au soleil.
Conduis-moi là où les sillons de la terre me fortifieront et là où mes pas pourront dire Ta Présence en moi.
Seigneur, redresse-moi et apprends-moi le sourire qui sait parler à ceux qui portent l’orage en eux tout comme à ceux qui pleurent.
Pénètre au creux de mes mains afin qu’en Ton Nom soient guéries les plaies de ceux qui souffrent.
Seigneur, redresse-moi et fais de moi l’oreille qui reçoit Ta Volonté, le Regard qui offre Ton Amour et l’écho qui répercute Ta Parole. »

Le lendemain, nous avons pris la direction de la clinique, tous les trois, et dans ma tête résonnait en boucle : « Seigneur, redresse-moi […] »
Vous savez, je ne me sentais pas nécessairement pressée qu’on me retire ce corps sans vie. Même si ce n’était qu’un corps, sa présence physique était encore là avec moi, et cela me faisait du bien.


Nous étions là, dans la salle d’attente du service ambulatoire.
Louis, insouciant, s’amusait à démonter les fauteuils. J’avais mon bracelet d’intervention au poignet et j’attendais que mon numéro apparaisse à l’écran. Ce serait le moment où je devrais les laisser pour monter dans l’ascenseur. Après, ce serait l’inconnu.
407. C’était à moi. Je les ai embrassés et je suis rentrée dans l’ascenseur.
Une infirmière m’attendait sur ma droite avec un médicament à avaler pour détendre mon utérus. On m’a donné une tenue que j’ai enfilée, puis on m’a invitée à attendre dans une salle, juste en face de la porte du bloc opératoire. J’observais les allées et venues du personnel, me demandant quand mon tour viendrait… « Seigneur, redresse-moi […] ».


Dans la solitude de cette salle, je me suis abandonnée à mes pensées. Puis, sans prévenir, je l'ai sentie. Là, tout près de moi, la petite âme était présente, juste au-dessus de mon épaule, et l'émotion m'a envahie. J'ai répété, en chuchotant : « Merci, merci, merci »
Mon tour est arrivé. Le brancardier est venu me chercher. Allongée sur le brancard, je voyais défiler les plafonds blancs et les lumières froides des couloirs. Ces lieux inconnus, un peu intimidants, glissaient sous mes yeux, mais je la sentais toujours là, près de moi, comme une présence invisible qui m’apaisait doucement.
Il y a eu encore un peu d’attente. Le silence de la salle était entrecoupé par quelques bruits sourds et des pas légers. Pourtant, je restais calme, presque sereine, comme si tout autour de moi n’avait plus vraiment d’importance.
Puis, deux personnes sont venues me chercher. Parmi elles, l’infirmier anesthésiste. Cet homme, avec son accent espagnol chantant et sa douceur infinie, m’a profondément touchée. Je suis convaincue qu’il m’avait été envoyé par le ciel. Ses paroles, pleines de bienveillance, sont venues réchauffer mon cœur comme une couverture qu’on pose sur des épaules fatiguées.
Ma gynécologue avait un peu de retard, mais ils ont préféré m’installer au bloc, où il faisait plus chaud. On m’a proposé une légère sédation pour me détendre, mais je n’en avais pas besoin. L’univers s’en était déjà chargé, j’étais portée.
Puis elle est arrivée, bienveillante comme toujours. Son regard m’a rassurée, et je me suis sentie prête. Peu après, je me suis endormie.

Quand je me suis réveillée, j’étais placée sous un puits de lumière extérieur. Cette lumière, si apaisante, semblait m’envelopper. Une sensation de douceur, presque maternelle, m'envahit. C’était comme si tout ce qui m’avait submergée jusque-là se dissipait lentement, emporté par cette lumière divine.
Je n’étais pas seule, je sentais une douce chaleur, comme un dernier baiser d’au revoir pour mieux revenir.
Le moment était venu de laisser partir mon bébé, mais je savais au fond de moi qu’il reviendrait.
Nous nous retrouverons très vite.
Et dans cet entre-temps, je porterai en moi la beauté de notre lien unique et précieux, celui qui a transformé ma vie et mon cœur. J’ai souri, et quelques heures plus tard, j’ai retrouvé mon premier bébé pour le serrer fort contre moi.

Seigneur, redresse-moi


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Entre désillusion et résilience